Le rapport sur les sciences, les technologies et l’innovation (STI) publié en 2017 par la Conférence des Nations unies pour le développement du commerce (CNUCED) montre que « le changement devient exponentiel grâce à la puissance des plateformes numériques et des combinaisons innovantes de différentes technologies qui deviennent possibles chaque jour ».
Les technologies de l’information sont des catalyseurs de développement économique et de transformation sociale. Elles peuvent apporter des changements réels dans l’économie en favorisant la compétitivité et la création d’emplois. Pour y arriver, on doit faire des choix intelligents de développement d’infrastructures résilientes, d’adoption d’un cadre légal adéquat, de mise en oeuvre de programmes de formation adaptés, de promotion de l’innovation et d’investissements. L’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique) analyse la maturité du numérique des pays selon les critères suivants :
• Environnement : c’est-à-dire le cadre légal et réglementaire ;
• Accessibilité : la qualité des infrastructures technologiques ;
• Usage : l’utilisation du numérique par le secteur public et le secteur privé;
• Impact : l’impact du numérique sur le développement social et économique.
Si Haïti veut adopter des politiques qui visent le développement de l’économie numérique, ces critères peuvent aider à jeter les vraies bases de cette stratégie. L’inclusion numérique représente un investissement économiquement rentable. Comment imaginer faire face aux défis sociaux et économiques sans l’intégration du numérique et miser sur la transformation et l’innovation qu’il peut engendrer ?
Développement d’infrastructures technologiques : 4G LTE
La 3G a fait son temps et atteint ses limites. Les usagers des services mobiles sont de plus en plus exigeants. La 4G LTE (ou quatrième génération/Long Term Evolution) qui succède à la 2G et à la 3G constitue une nouvelle avancée technologique dans la téléphonie mobile. Elle permet d’atteindre des débits très élevés, jusqu’à 10 fois plus que la 3G. Selon la loi en vigueur en Haïti, l’opérateur de téléphonie désirant exploiter une telle technologie doit signer un contrat de concession et payer les frais fixés par l’État haïtien. Les discussions lancées il y a plus d’un an entre l’État haïtien et les deux opérateurs présents sur le marché de la téléphonie mobile n’ont pas abouti à un accord. Le coût de la licence et le cahier des charges d’exploitation sont à la base de ce désaccord. La démarche la plus classique serait une évaluation du marché des télécommunications.
L’adoption de cette technologie doit viser le développent social et économique. Les choix ne peuvent être strictement techniques. Des questions importantes doivent être posées. Comment les technologies peuvent-elles aider au développement des autres secteurs ? Quel modèle, quel type de régulation adopter ? Quelles sont les mesures à envisager pour encourager l’investissement privé dans ce secteur et promouvoir l’innovation ? Quelles sont les mesures fiscales à adopter et comment renforcer l’autorité de régulation pour faire face aux enjeux de développement du numérique ? Investir dans les infrastructures de réseaux à très haut débit (fibre optique pour l’internet fixe et LTE pour l’internet mobile) peut être un vecteur important de croissance. Elles peuvent aider au développement des autres secteurs. Les investissements dans l’infrastructure sont essentiels pour parvenir au développement durable et à l’autonomisation des communautés, selon l’objectif 9 des 17 objectifs de développement durable présentés par les Nations unies.
Il faut engager une réforme du secteur des télécommunications en Haïti et favoriser une approche intégrée du numérique. Cette réforme doit s’articuler autour de trois grands axes : technique, juridico-réglementaire et économique. Comme tous les pays en développement, l’État doit miser sur le secteur des télécoms pour promouvoir la croissance économique. Il doit examiner attentivement les mesures fiscales liées aux télécommunications afin d’équilibrer les objectifs des services électroniques modernes et d’assurer des recettes adéquates. À cet égard, des mesures fiscales visant à diminuer ou à ralentir la pénétration du numérique pourrait apporter des bénéfices à court terme au détriment des avantages à long terme pour tous.
Support à la sécurité publique
La sécurité est au cœur des préoccupations individuelles et collectives. Les outils technologiques devraient être utilisés afin d’aider au contrôle et au renforcement de la sécurité en Haïti. Des systèmes de vidéosurveillance, l’utilisation des drones et d’autres systèmes de contrôle et d’identification devraient aider les pouvoirs publics à mieux répondre au défi majeur de protéger les vies et les biens. S’il est vrai que le problème de sécurité ne se situe pas seulement à ce niveau, les technologies de l’information pourraient jouer un rôle fondamental dans la stratégie nationale de création d’un climat sécuritaire. Elles doivent être au cœur de toute approche conceptuelle de la protection du citoyen et de la citoyenne. Les objectifs des caméras de surveillance ne peuvent pas remplacer la présence bienveillante des policiers, mais ils peuvent servir de moyen efficace pour atteindre certains objectifs. La demande de sécurité impose aux forces de l’ordre, aux décideurs publics de se tourner vers des moyens modernes pour endiguer l’insécurité. La Police nationale d’Haïti doit développer l’expertise pour lutter contre la cybercriminalité, c’est-à-dire toute infraction liée à l’utilisation de l’électronique.
Offre de services en ligne et open data
Le nombre d’usagers de l’Internet croît au-delà de toutes les contraintes d’accès et de pouvoir d’achat de la population. L’utilisation de l’Internet peut contribuer à offrir des services efficaces aux citoyens, soit à travers des plateformes web, mobiles ou des cyber centres municipaux multiservices. Elle peut aussi contribuer à augmenter les revenus de l’État pour financer des projets au bénéfice de la population. Les institutions publiques doivent adopter le numérique afin de répondre aux défis d’efficacité et de modernisation auxquels elles sont confrontées.
L’information est essentielle à la fonction de toute économie de marché. L’accès à des données structurées pourrait aider les citoyens et les institutions publiques et privées à prendre de bonnes décisions, à promouvoir la transparence et la bonne gouvernance et encourager la participation citoyenne.
Développement des services financiers numériques
Les services financiers numériques (SFN) sont un levier fondamental pour accroître l’inclusion financière. Haïti affiche les chiffres les plus bas de la région Amérique latine et Caraïbes en termes d’accès aux produits et services bancaires. La “technologie financière” ou FinTech fait évoluer le secteur financier dans le monde. Elle peut aider à l’amélioration des conditions de vie des ménages à bas revenus. La pénétration du téléphone portable peut constituer un atout majeur à l’offre des services financiers à la population vivant dans les zones reculées où la présence d’institutions financières est quasi inexistante.
Adoption d’une pédagogie numérique
Le citoyen doit être au centre de cette transformation digitale. On ne pourra pas parler de développement numérique sans considérer l’éducation et soutenir de nouvelles approches pédagogiques. Le développement de curriculum, la formation des maîtres, la modernisation des infrastructures scolaires, la promotion de la recherche scientifique, le renforcement de l’université sont autant d’enjeux à considérer pour arriver à l’adoption du numérique comme vecteur de croissance en Haïti.
Conclusion
Malgré une forte pénétration du téléphone mobile et le nombre croissant d’internautes et d’utilisateurs de “smartphones” en Haïti, les acteurs étatiques et du secteur privé n’ont pas su exploiter ces avantages à l’effet d’améliorer et d’offrir de meilleurs services aux usagers. Aucun projet numérique d’envergure n’a vu le jour au cours de l’année 2018, ni du secteur privé ni du secteur public. Il n’existe pas encore un produit numérique portant un label national.
Un cadre juridico-réglementaire adéquat est essentiel au développement du secteur numérique. En 2018, aucun texte n’a été adopté par le Parlement dans le but de renforcer l’environnement juridique existant déjà dépassé par le développement du secteur. Certains textes déposés par l’exécutif sont encore en souffrance alors que l’environnement social, économique, juridique, technique et commercial dans lequel évoluent les acteurs se transforme. Ce cadre légal devrait favoriser l’accès universel des services numériques, car les technologies tendent à favoriser elles-mêmes les inégalités dans les usages. Le manque de pouvoir d’achat, l’absence de politique publique, l’accès au matériel et aux services constituent des handicaps majeurs à l’appropriation du numérique, ce qui constitue un blocage à la performance des secteurs sociaux comme l’éducation, la santé et autres.
En 2019, des actions concertées avec les acteurs de l’écosystème numérique devraient être engagées afin de créer les relations de confiance entre les différentes parties prenantes. Il convient de construire un environnement propice à l’innovation et créer des conditions favorables à son développement. Albert Einstein a dit : « l’imagination est plus importante que la connaissance.»