« Delidoc » et son avenir

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Delidoc, sans des décisions administratives fortes, sera un échec.

Jean Marie Altema

Le Premier ministre Ariel Henry a lancé ce vendredi delidoc, une plateforme technologique de demandes en ligne de pièces d’identité (passeport et carte nationale d’identité). Dans ces propos, le PM a indiqué qu’il s’agit d’une initiative gouvernementale visant à améliorer les services à la population. Le lancement de ce projet par le Premier ministre lui apporte un soutien politique important et nécessaire. La plateforme, développée par des experts haïtiens, ne résoudra pas tous les problèmes d’identité du pays. Cependant, l’initiative est louable. Il répond au besoin d’un citoyen d’obtenir une pièce d’identité, comme son passeport. Cela lui éviterait toutes les péripéties que nous connaissons tous devant les centres d’accueil pour la délivrance des pièces d’identité (CRLDI). Le 17 février, j’avais proposé un “flow” permettant de gérer les rendez-vous de demande en ligne de passeport.

Proposition d’un flow pour gérer les rendez-vous

Le gouvernement a accéléré la “e-gouvernance” et mobilisé des experts nationaux pour créer cette plateforme qui permettra à tout citoyen haïtien de prendre plus facilement un rendez-vous en ligne, a lancé le Premier ministre Henry. Le terme « e-gouvernance », vieux de plus de 20 ans, est déjà révolu. Il s’agit de fournir des services aux parties prenantes (citoyens, institutions publiques ou privées, entreprise de la société civile). L’e-gouvernance était le sujet clé d’un agenda politique et de programmes stratégiques de transformation du gouvernement, au moyen de l’électronique. Un concept plus global que j’aime utiliser est la transformation numérique. Il s’agit d’un processus dynamique centré sur l’institution pour se concentrer sur la transformation de l’institution ou de l’entreprise, des processus et des aspects organisationnels grâce aux technologies numériques. Aujourd’hui, c’est un exercice normal pour une entreprise ou une institution de fournir un service en ligne.

Je n’ai pas suivi la cérémonie en direct, car je n’étais pas au courant du projet et de son lancement. Quelqu’un a partagé avec moi un tweet de la cérémonie. Ma première étape a été de consulter l’adresse delidoc.gouv.ht, affichée en arrière-plan, lors de l’activité.

Page d’accueil de delidoc.gouv.ht

Considérations institutionnelles et administratives

Une note ou un communiqué du gouvernement au grand public devrait d’abord annoncer la création de la plateforme. Une circulaire faisant référence au comité interministériel sur les technologies de l’information (CITI), devrait fixer ses limites, sa structure de gouvernance, ses objectifs et les institutions impliquées dans le projet. Pour le moment, le public ne sait pas quelle institution publique en a la charge technique, qu’il s’agisse de l’Office National d’Identification (ONI), de la Direction Générale des Impôts (DGI), ou de la Direction de l’Immigration et de l’Emigration. Cet acte simple mais nécessaire donnerait plus de confiance aux citoyens, car ils sauraient qui contacter en cas de problème dans le fonctionnement de la plateforme. Un numéro de contact et un e-mail doivent être indiqués dans cette note. On ignore s’il s’agit d’une extension du Centre de réception et de délivrance des documents d’identité (CRLDI) ou d’une nouvelle structure. De plus, il y a aussi une précision à apporter dans le nom du projet. Est-ce une plateforme de demande de rendez-vous en ligne ou de demande de pièce d’identité ?

Les intervenants ont présenté la plateforme comme une coopération électronique entre entités étatiques. Un bon exemple. Cependant, les institutions citées dans le cadre de cette coopération devraient signer un protocole sur l’accès, le partage, l’utilisation de leurs données par la plateforme, et leur niveau de responsabilité.

Considérations techniques

Utiliser un nom de domaine gouv.ht est rassurant. Cependant, l’url delidoc.gouv.ht renvoie à une page qui ne contient aucune information relative à delidoc. Il n’y a pas de certificat de sécurité actif sur le site. Mon navigateur me dit “ce site n’est pas sécurisé”. Cela m’a étonné. J’ai envoyé un message à un ami du gouvernement pour lui faire part de certains problèmes. Malheureusement, il m’a répondu après environs 4 heures. Il intervenait également à la cérémonie. Le certificat de sécurité peut être considéré comme un vaccin. Un acte simple, mais nécessaire. Quelques minutes plus tard, je recevais une nouvelle adresse delidoc.gouv.ht/delidoc. Cette fois, il renvoie à une page d’accueil, encore non sécurisée, indiquant une plateforme de demande de documents d’identité en ligne. Les liens “demande de carte d’identité” et “demande de passeport” mènent à un autre domaine sécurisé, logisoft.dev. C’est là que le citoyen doit effectivement saisir ses données personnelles pour sa demande. Il n’y a aucune information sur cette redirection. C’est crucial pour l’utilisateur. L’utilisation d’une entreprise tierce pour fournir un service n’est pas le problème. Cependant, le processus doit être transparent, car il implique des données sensibles et confidentielles. Le citoyen doit se sentir en sécurité pour effectuer ces transactions. Après des considérations, j’ai recommandé de fermer temporairement le site.

Quel est l’avenir de delidoc?

Ce projet est un pas dans la bonne direction. Les responsables du gouvernement et de l’état doivent prendre les remarques comme un moyen pour offrir une plateforme performante qui inspire confiance à la population. La fourniture du service en ligne doit être considérée comme une expérience pour le citoyen qui doit être placé au centre de toutes les décisions. Delidoc doit simplifier la vie du citoyen. Le lancement de delidoc ne doit pas être considéré comme un échec. Il doit servir d’exemple pour engager tout un écosystème.

Conclusion

Le citoyen connecté est de plus en plus exigeant. Selon les statistiques, plus de 4.53 millions de personnes ont accès à Internet en Haïti. L’état doit en profiter pour se rapprocher du citoyen et lui offrir des services innovants. Delidoc, sans des décisions administratives fortes, sera un échec. Gérer la demande de rendez-vous est une étape. Il faut développer tout une réingénierie pour simplifier le processus et améliorer l’expérience client. Ce n’est pas la première fois qu’une application est plantée à son lancement. Commettre des erreurs doit être considérée comme une expérience pour offrir de meilleurs résultats. Delidoc devra faire ses preuves et démontrer une capacité technique et organisationnelle pour gérer les multiples requêtes en temps réel des citoyens et protéger les données personnelles du citoyen.

Jean Marie Altema