Haiti à la traîne, la République dominicaine entame son processus de transformation digitale.

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Si leur projet se concrétise, les dominicains vont continuer à solliciter la main d’oeuvre haïtienne pour cultiver leurs champs et travailler dans la construction, alors qu’ils enverront vers Haiti des experts en innovation, en intelligence artificielle et en robotique.

Jean Marie Altéma

De nombreux pays de la région s’attellent à créer les conditions requises pour exploiter au mieux les opportunités offertes par les technologies de l’information afin de promouvoir le développement social et économique. Les enjeux sont de taille pour Haiti, marquée par l’instabilité et la faiblesse institutionnelle. Les textes légaux régissant le secteur sont vieux de plus de 40 ans et la mission des institutions sectorielles étatiques n’a pas été modifiée depuis plus d’une trentaine d’années. La réforme du secteur des télécommunications est plus que nécessaire. Elle doit viser le développement social et économique à travers un nouveau modèle cadré avec notre réalité, et qui tient compte de la protection des consommateurs. La régulation en vigueur aujourd’hui ne va pas résoudre les problèmes d’infrastructures, d’accès, de qualité et d’abordabilité des services de communications électroniques. Elle est un obstacle à l’innovation. Elle n’inspire pas confiance et favorise la fracture numérique. Les services de haut débit sont concentrés dans les grandes villes particulièrement à Port-au-Prince, alors que les populations des zones rurales ont un accès très limité à ces services. Les télécommunications et le numérique sont un véritable pilier pour le développement économique. Ils doivent servir de levier de développement des secteurs comme le tourisme, l’agriculture, le commerce, l’éducation et autres. Compte tenu du caractère dynamique de l’industrie technologique, un cadre réglementaire transparent, objectif et adapté est essentiel pour développer le secteur et attirer des investisseurs privés. 

Haïti avait occupé une place prépondérante dans le domaine des télécommunications dans la région Amérique latine et caraïbes derrière les Etats-unis et le Canada, notamment avec la création de la TELECO et la station terrienne de télécommunications à Sabourin (Cabaret) qui assurait les communications via satellite. Cette station a permis aux haïtiens de suivre en direct la retransmission des matchs de la coupe du monde de football à laquelle Haiti avait pris part en 1974 et servi de relai à divers pays de la région. Le réseau de transmission de la TELECO comprenait des faisceaux hertziens, des tronçons de câbles coaxiaux au niveau des villes et d’une double boucle de fibre optique (d’une longueur de 100 km environ) dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince. Haiti n’a pas su faire le choix de modernisation, de renforcement des infrastructures et d’offrir des services innovants axés sur le développement de l’Internet. Malgré les efforts consentis par certains groupes du secteur privé et de la société civile pour promouvoir le numérique, l’administration haïtienne peine à élaborer un plan stratégique impliquant toutes les parties prenantes de l’écosystème numérique. Les lois sur la signature électronique et les échanges électroniques sont votées à la Chambre des Députés le 4 septembre 2014 et au Sénat le 14 et le 16 février 2017, elles sont publiées le 11 avril 2017 dans le journal officiel “Le Moniteur”. La mise en place des mécanismes devant assurer leur implémentation et leur application tarde.

La situation en république voisine est très différente. Ce pays est en train de combler son retard et faire un bon vers le progrès technologique en créant un environnement favorable à son développement. Selon le site Internetworldstats, Haiti enregistre le plus faible taux de pénétration de l’internet de la région, soit 11.9% en 2017, alors que la République dominicaine affiche un taux de 56.2%. Elle accuse un taux de pénétration de la technologie 4G LTE de 60,6%, selon le rapport intitulé “l’Etat du LTE” publié par le site OpenSignal.com. Plus d’accès veut aussi dire plus de compétitivité, plus de progrès économique. L’ambition des dominicains est on ne peut plus claire, dominer la région sur le plan technologique. Au cours d’une conférence présentée par un professionnel italien très connu du milieu technologique et de l’innovation, M. Vito Di Bari, en présence d’officiels du gouvernement dominicain dont le président Danilo Médina, sur l’impact des technologies et l’innovation sur la productivité et la création d’emploi, il a déclaré que la République Dominicaine a tous les atouts pour se convertir en leader technologique de la région Amérique latine et devenir le “Dominican Valley” en référence au Silicon Valley (USA). Selon lui, la République dominicaine dispose d’un excellent projet, qui est “republica digital”, un bon plan de connectivité et elle a une population plus jeune que n’importe quel autre pays. “Le pays a tout ce qu’il faut”, a-t-il ajouté. Il a recommandé à la République dominicaine de prendre le leadership intellectuel de la mondialisation 4.0 en Amérique latine, comme le Singapur en Asie, de moderniser les universités en alignant leur programme sur les connaissances requises par le travail de la prochaine économie. 

Le programme gouvernemental baptisé “republica digital” est un projet visant à garantir l’accès des Dominicains aux technologies de l’information et de la communication, dans le but de réduire la fracture numérique et de fournir de meilleurs services aux citoyens. Cette initiative repose sur quatre axes principaux et deux axes transversaux :éducation, accès, productivité et création d’emploi, gouvernance numérique ouvert et transparent, la cybersécurité et l’inclusion sociale. Au total, 22 projets sont en cours d’exécution dans le cadre de ce programme. 639 écoles sont dotées de kits robotiques, 333,289 étudiants sont enrôlés dans des programmes scientifiques et robotiques, 3000 professeurs ont reçu des laptops avec accès à des programmes éducatifs, 62,307 étudiants ont bénéficié d’un laptop ou d’une tablette numérique. Selon les informations disponibles, 610 points d’accès Wi-Fi sont disponibles gratuitement dans des hôpitaux, des places publiques, bus de transport public, stations de métro, bibliothèques municipales et universitaires, particulièrement. 199 services en ligne sont offerts aux citoyens dominicains et des lois comme la signature électronique sont déjà adoptées.  

La république voisine est en train de former sur son sol des milliers de jeunes haïtiens dans le domaine de la science et des technologies. Pour la plupart, ils ne sont pas revenus au pays. L’industrie technologique haïtienne est habitée par le doute et teintée d’inquiétude et d’incertitude. Si leur projet se concrétise, les dominicains vont continuer à solliciter la main d’oeuvre haïtienne pour cultiver leurs champs et travailler dans la construction, alors qu’ils enverront vers Haiti des experts en innovation, en intelligence artificielle et en robotique.